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Dans les coulisses du #metoo politique

Article dans M le Mag, par Charlotte Rotman, Photo Agnès Dherbeys

Elles sont collaboratrices d’élu, militantes féministes ou élue. Et les initiatrices d’une pétition et d’une tribune publiée dans « Le Monde », signée par 285 femmes pour que « les auteurs des violences sexuelles et sexistes soient écartés de la vie politique ».

ELLES SE RENCONTRENT POUR LA PRE- MIÈRE FOIS ce samedi matin 13 novembre. Deux ans qu’elles mûrissent patiemment leur coup. Mais elles ne s’étaient encore jamais retrouvées physiquement toutes les cinq. En préparant le lancement, prévu quarante-huit heures plus tard, du #metoo politique, elles espèrent – enfin – ébranler ce milieu souvent brutal et encore largement masculin qu’elles connaissent intimement. Élues ou collaboratrices d’élus (écologistes, « insoumis » ou socialistes), elles ne voulaient pas laisser échapper la première élection présidentielle depuis #metoo pour se faire entendre. « On promeut encore des hommes politiques qui foulent aux pieds le consentement », « des prédateurs ». Pour elles,« c’est un scandale démocratique ».
Fiona Texeire est la première arrivée au rendez-vous, dans cette petite maison du nord-est de Paris où l’accueille Hélène Goutany, une journaliste avec qui elle vient de lancer un podcast sur le sexisme intitulé « Y a pas mort d’homme ». À 35 ans, elle parle au nom de son expérience personnelle, celle d’une collaboratrice qui a vu et parfois subi des violences sexuelles et sexistes, et qui œuvre pour éviter aux autres cette « entrée rugueuse » dans la vie politique : « Moi, rien ne m’a préparée à ça. » Cela a commencé dès son premier poste dans une mairie de la banlieue parisienne, à 23 ans. « Au bout de quinze jours, je me suis fait sauter dessus par mon supérieur hiérarchique », se souvient-elle. L’impression d’être « un bout de viande » ne l’a jamais vraiment quittée. Pendant sept ans, elle travaille au Sénat et se fabrique « une carapace ». Les propos sexistes et les gestes déplacés ne sont alors « pas un sujet », plutôt « une fatalité ». Ce n’est qu’en arrivant, en janvier 2017, au cabinet ministériel de Bernard Cazeneuve – pour qui elle va travailler pendant trois ans – qu’elle a vraiment compris. Là, « pas de remarques sur le physique, pas de soirées qui dérapent, pas d’élu à qui tu tends la main et qui te lèche la joue, pas de main au cul à une soirée de Noël »… Elle se rend alors compte qu’elle a baigné dans un climat de sexisme banalisé. Et qu’elle a « encaissé ». La vague #metoo, venue des États-Unis, vient aussi « dissiper ce senti- ment diffus de gêne : ce n’était pas ma faute. Et ce n’était pas normal ».

C’est l’affaire Denis Baupin qui a rapproché ces cinq militantes. Au procès pour diffamation intenté et perdu en 2019 par l’ancien député EELV aux huit femmes qui l’accusaient d’agressions sexuelles et de harcèlement, Fiona Texeire croise Mathilde Viot. Assistante parlementaire, elle est là pour le compte de Chair collaboratrice, collectif qu’elle a cofondé en 2016 pour signaler les comportements sexistes au sein de l’Assemblée nationale. En sortant de l’audience, les deux femmes vont boire un verre avec les victimes et les témoins du procès. Les deux collaboratrices d’élus ont la trentaine et une obsession : comment faire pour que cela ne se reproduise pas ? Assez vite, elles se mettent en contact avec Madeline Da Silva, adjointe au maire aux Lilas (Seine- Saint-Denis) et militante féministe très active au sein du collectif #NousToutes. Alice Coffin, conseillère de Paris, les rejoint quelques mois plus tard. Ce samedi, autour de la table, elles font les derniers « recaps », peaufinent quelques formulations. Mathilde Viot fait dé – ler sur son ordinateur un Google Doc long comme le bras, témoin de mois de préparatifs. La dernière version de la tribune qui doit être publiée lundi 15 novembre par Le Monde est arrivée. Deux cent quatre-vingt-cinq femmes politiques y demandent d’« écarter les auteurs de violences sexuelles et sexistes » de la vie politique. Ce n’est qu’une partie de leur offensive. Une pétition sur Change.org (« une base féministe de 1,9 million, vous vous rendez compte ? », glisse Madeline Da Silva, à l’origine de plusieurs mobilisations dont, récemment, le #metoo inceste) va être lancée dans la foulée. Un espace y est prévu pour que les responsables politiques s’engagent à ne pas parrainer, ni investir ni embaucher dans leur équipe « des personnes mises en cause pour violences sexistes et sexuelles ». Avec le hashtag #metoopolitique, une campagne de témoignages de victimes qui ont été la proie d’hommes politiques s’ouvre également.

« Il ne s’agit pas juste de témoigner, précise Alice Coffin. Il y a un enjeu électoral, avec les législatives et la présidentielle, on fait pression. » Ce #metoopolitique sera-t-il « l’étincelle » qu’elles espèrent pour changer un monde qui résiste encore aux coups de boutoir des révolutions féministes ? Un « collègue qui mime une fellation quand une [autre] parle », des réflexions comme « Vous n’êtes pas obligée de parler… votre mari vous attend pour dîner », ou « Tu me la joues Basic Instinct… » : les 390 témoignages de l’enquête « Entendu à la mairie », lancée par Madeline Da Silva il y a deux ans, ont confirmé que le sexisme ordinaire n’est pas dévolu aux lieux de pouvoir. « Ça ne bouge pas tant que ça, se désole-t-elle. En politique, on ne se bat pas seulement pour obtenir une écoute, mais contre une volonté d’étouffer la parole. » À l’Assemblée, Mathilde Viot l’a bien vu. Sur une centaine de témoignages qu’elle a pu recueillir, une collaboratrice sur cinq rapportait avoir été victime d’une agression sexuelle. « Tout cela a pour objectif d’exclure les femmes de la sphère politique », dénonce-t-elle. Celles qui osent parler à visage découvert le payent, la plupart du temps. « En dénonçant ces violences, on s’attaque au cœur du système. Ils vont nous trouver sur le chemin », prévient Alice Coffin, le sourire aux lèvres.