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La PPL Bergé, une proposition très insuffisante pour faire reculer la violence des hommes politiques

Auditionné le 23 février par la rapporteuse Aurore Bergé, voici ce que l’observatoire des VSS a tenu à porter à son attention.



Analyse de l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique sur la Proposition de Loi n°759 d’Aurore Bergé, visant à étendre le champ d’application de la peine d’inéligibilité aux cas de condamnation pour violences aggravées ayant entraîné une incapacité temporaire.

La proposition de loi déposée par Aurore Bergé, examinée le 7 mars en séance publique à l’Assemblée nationale sera l’occasion de parler des violences commises par les hommes dépositaires d’un mandat public ou qui prétendent en solliciter un.

Notre observatoire travaille précisément, depuis un an, sur les cas de violences sexistes et sexuelles commises par les hommes politiques et nous tenions à vous faire parvenir ces éléments d’analyse.

  1. Le champ de cette proposition de loi est extrêmement réduit

Le groupe Renaissance a choisi d’intervenir sur un champ extrêmement réduit et appuie sa lutte contre les violences subies par les femmes sur le cas médiatisé d’Adrien Quatennens, député d’un autre groupe. Cette vision ad hominem ne permet de répondre qu’à un champ très étroit des violences sexistes et sexuelles commises par les hommes politiques.

En effet, malgré d’autres « affaires », ne sont pas encore comprises ni prévues par cette proposition de loi des peines d’inéligibilité en ce qui concerne les cas suivants :

  • Les violences psychologiques, article 222-14-3 du code pénal
  • Les appels téléphoniques malveillants réitérés, envois réitérés de messages malveillants sur conjoint·e, article 222-16 al 2, puni de 3 ans et de 45 000 € d’amende
  • La violation d’une ordonnance de protection prise par le JAF en cas de violences – article 227-4-2 du code Pénal, puni de 2 ans et 15 000€ d’amende
  • Les menaces émises sur conjoint·es, article 222-18-3 du code pénal
  • Le proxénétisme, articles 225-5, 225-6 et 225-7, puni de 7 à 10 ans d’emprisonnement et de 150 000€ à 1 500 000€ d’amende
  • Le revenge porn, article 226-2-1, puni de 2 ans et 60 000€ d’amende
  • La proposition sexuelle d’un majeur envers un·e mineur·e de 15 ans, article 227-22-1, puni de 2 ans et 30 000€ d’amende
  • L’atteinte sexuelle, prévue aux articles 227-25, 225-6 et 227-27 du code pénal
  • La pédopornographie, article 227-23, punie de 5 ans et 75 000€ d’amende
  1. Ce véhicule législatif réduit les possibilités d’initiative parlementaire

Le véhicule retenu est très réducteur, avec un titre très précis qui risque de multiplier les irrecevabilités au titre de l’article 45 de la Constitution. Cela est tout à fait regrettable, car ne permet pas une réflexion collective sur l’inéligibilité.

Nous encourageons les député·es qui le souhaitent à déposer des amendements sur les dispositions manquantes que nous avons pointées ci-dessus, tout en les alertant sur les possibles déclarations d’irrecevabilité.
D’autres amendements pourraient aussi être déposés, sans paraître susceptibles d’être frappés d’une irrecevabilité en tant que “cavaliers” législatifs : pourrait, en particulier, être proposé que l’inéligibilité s’accompagne du retrait des éventuelles décorations attribuées à la personne condamnée (amendement portant sur l’article 131-26-2 du code, pour la seule inéligibilité automatique, ou sur l’article 131-6 pour l’ensemble des inéligibilités prononcées en tant que peines complémentaires).

  1. La mise en place des inéligibilités règle néanmoins le problème de la « réhabilitation ».

Des hommes politiques condamnés et leurs soutiens ont pu, seulement quelques jours après la décision judiciaire, parler de “mise au ban perpétuelle”. Si cet argument, souvent employé trop tôt, avait vocation à attirer de la compassion sur une personne à peine condamnée, cela soulève une question néanmoins intéressante, qui constitue le principal point positif de cette disposition : si l’inéligibilité vise à éloigner une personne de la vie politique, la mise en place d’un délai permet aussi d’organiser son retour.

Néanmoins, l’inéligibilité, qui n’est pas rétroactive, pose la question de la poursuite du mandat d’élus condamnés pour des violences sexistes et sexuelles. La question de la révocation reste entière, le Gouvernement n’usant que très rarement de son pouvoir de révocation des élus locaux (rappelons que la démission de Georges Tron, condamné pour viols en réunion, n’a été obtenue que par la pression des féministes) et que seul le Conseil Constitutionnel peut révoquer un parlementaire.

  1. La nécessité d’ouvrir une discussion plus large sur les violences sexistes et sexuelles dans le monde politique.
  • Rares sont ceux qui avouent, rares sont ceux qui sont condamnés. Et pourtant…

Si l’on appuie sur le fait que le seul moyen de régulation est l’inéligibilité, alors cela risque de nous priver de méthodes de régulation extrajudiciaires, pourtant nécessaires car la justice est défaillante, au vu du faible nombre de condamnations judiciaires :

– Tous les accusés n’avouent pas, loin de là – Adrien Quatennens et sa présentation en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité fait figure d’exception notable – et la plupart des hommes politiques prennent le parti de nier et d’exploiter toutes les voies de droit jusqu’à la cassation. Dans ce cas, la peine d’inéligibilité pourrait intervenir bien des années plus tard. Elle n’est donc pas efficace pour protéger effectivement les femmes. 

– D’autres accusés – encore en poste aujourd’hui, comme Jean-Michel Baylet, ont pu bénéficier de la prescription.

Il est donc nécessaire de pouvoir actionner d’autres leviers qui n’ont pas été pris en considération dans cette proposition de loi.

  • La possibilité d’une réponse extrajudiciaire aurait dû être posée à l’occasion de cette proposition de loi

Dans le monde de l’entreprise, l’obligation de sécurité qui pèse sur les entités employeuses leur permet de décider d’une mise à pied conservatoire avec ou sans solde le temps d’une enquête interne. Cette obligation de sécurité – qui est une obligation de résultat – peut même aboutir à un licenciement, même si aucune décision judiciaire n’a été prise.

Le monde politique ne peut être perçu comme se situant hors de la société. D’un côté, cela nourrit l’antiparlementarisme, mais pire encore, cela envoie à la société tout entière un message d’impunité concernant les violences sexistes et sexuelles. C’est terrible pour les victimes de violences, c’est encourageant pour les personnes qui les commettent.

Le fonctionnement actuel du monde politique place les partis comme organes centraux dans les dispositifs de soutien des candidatures et des mandats. Aujourd’hui, difficile de se faire élire en dehors de ces structures. Et puisque ce n’est pas la justice qui intervient pour désigner les personnes qui représenteront les partis politiques, il n’est pas nécessaire d’attendre que la justice intervienne pour obtenir des partis politiques qu’ils demandent clairement la démission d’un de leurs membres ou considère que ce membre ne peut plus porter leur parole. Les partis ont donc une marge de manœuvre et une rapidité d’intervention beaucoup plus efficaces que la justice.

Il est donc nécessaire et aurait été souhaitable de réfléchir à ce que les statuts des associations hébergeantes des partis politiques se dotent d’outils performants de nature à pouvoir demander la démission des hommes mis en cause après délégation d’une enquête interne.

  • Le constat des difficultés rencontrées par les cellules de veille dans les partis politiques.

La question des violences sexistes et sexuelles en politique a été mise sur le devant de la scène de façon assez récente. Certains partis se sont dotés de structures, de cellules de veille, qui tâtonnent dans leurs modes de fonctionnement. Elles ont été critiquées dans l’exercice de leurs missions à plusieurs reprises. Les personnes qui composent ces cellules ont beau faire le travail le plus efficace possible et tenter de mettre en place les règles les plus objectives, elles seront toujours soupçonnées de manipuler les départs des uns ou d’appuyer les retours des autres, du fait de leur proximité avec les organes dirigeants des partis. Il est donc nécessaire de créer des garanties d’impartialité objective et subjective pour traiter des cas de violences sexistes et sexuelles dans les partis politiques.

D’autres partis ont décidé de ne pas se doter de telles structures et n’accordent aucun intérêt aux récits des victimes de violences dans leurs rangs.

  1. Les propositions de l’Observatoire pour lutter réellement contre les violences sexistes et sexuelles en politique.

5.1.           Les réponses nationales

Proposition 1 : La création d’une haute autorité pour la lutte contre les violences sexistes et sexuelles en politique nous paraît nécessaire pour se substituer au travail des cellules de veille des partis politiques.

Cette proposition pourrait être renforcée par la mise en place d’un mécanisme de contrôle a priori des antécédents pénaux, au sens large, des responsables publics. Ce contrôle s’exercerait, sur le modèle de la vérification fiscale prévue par la loi pour les personnes dont la nomination au Gouvernement est envisagée, préalablement aux nominations visées par la loi sur la transparence de 2013 (membres du Gouvernement, membres de cabinets, responsables publics nommés en Conseil des Ministres, etc.). Il ne pourrait pas valablement s’appuyer sur les fichiers judiciaires existants (TAJ ou FIJAIS) puisque ceux-ci ne présentent pas des caractéristiques susceptibles de donner satisfaction (limitation aux personnes mises en examen, durée limitée de conservation des données…). Il suppose donc la création d’une procédure ad hoc de consultation des informations requises, permettant un vaste accès à des éléments qui permettront de vérifier le respect de l’éthique par la personne concernée (plaintes déposées à l’encontre de la personne dont la nomination est envisagée, mais sans mise en cause pénale ultérieure ; mains courantes ; cas de relaxe…).

Cette procédure ne prendrait pas la forme d’un nouveau fichier administratif, mais pourrait se traduire par la transmission ponctuelle d’informations par l’autorité judiciaire, selon les mêmes formes que celles prévues par l’article 8-1 de la loi de 2013 en matière fiscale. À l’inverse de la transmission en matière fiscale, toutefois, cette demande de transmission pénale serait obligatoire, rendant inopérant l’argument d’ignorance parfois utilisé après une nomination contestable.

Cette proposition a été formulée par le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, instance consultative placée auprès de la Première ministre, dans ses rapports de 2019, 2022 et 2023.

5.2.           Agissez à l’Assemblée nationale et au Sénat !

Pour ce qui concerne l’Assemblée nationale, puisque cette proposition de loi se base sur le cas d’un député, nous avons formulé ces demandes lors de la prise de mandat de la Présidente de l’Assemblée nationale, et nous serions heureuses de pouvoir en discuter avec les services compétents d’un plan de lutte contre les VSS au sein de l’Assemblée nationale qui pourrait inclure :

Proposition 2 : La formation obligatoire des député⸱e⸱s, fonctionnaires, collaborateur⸱ice⸱s à la prévention des violences sexistes et sexuelles, dès le début de la législature. Cette formation devrait être accompagnée de la transmission des informations nécessaires pour saisir la cellule de signalement, pour les victimes comme pour les témoins ; et faire l’objet de rappels réguliers (par exemple annuels) tout au long de la législature. Cela pourrait notamment être une condition à remplir pour pouvoir bénéficier des services de la gestion financière, en ce qui concerne les élu·es. De plus, il conviendra de proposer systématiquement cette formation en cas d’élections partielles et lors des modifications des équipes parlementaires.

Proposition 3 : La sanction systématique des propos sexistes tenus par les députés, au sein et en dehors de l’hémicycle, notamment via la retenue financière sur indemnité.

Proposition 4 : La réforme de la cellule d’écoute de l’Assemblée nationale, aujourd’hui sous-utilisée, faute d’un climat de confiance nécessaire. Cette réforme devra permettre à cette cellule de disposer des moyens adéquats pour accompagner les victimes de violences sexuelles et sexistes, de la libération de leur parole à leur reconstruction.

Proposition 5 : La suspension de la clause de loyauté prévue dans les contrats de collaboration en cas de violences sexistes et sexuelles. Évidemment, le droit commun du travail continuerait à s’appliquer.

Proposition 6 : L’engagement des Bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat à lever l’immunité parlementaire d’un⸱e député⸱e visé⸱e par une plainte pour harcèlement, agression sexuelle, viol, violences conjugales, violences sur les enfants dès la première sollicitation du parquet.

Proposition 7 : Entamer une réflexion sur l’utilisation de l’article 40 du code de procédure pénale, et notamment sur la mise en place en cas de non respect de l’obligation pour toute autorité constituée de signaler au procureur de la République les crimes ou délits dont elle a connaissance. Cette réflexion devra intégrer la place du consentement des femmes victimes à transmettre ces informations au parquet.

Proposition 8 : L’organisation régulière d’enquêtes de victimation sur l’ensemble des personnes travaillant à l’Assemblée et au Sénat (parlementaires, fonctionnaires, contractuel·les, sous-traitants, collaborateur·ices), afin de mesurer l’ampleur des violences sexistes et sexuelles et son évolution.

Proposition 9 : La création d’un fonds dédié à l’accompagnement juridique, financier et psychologique des victimes de violences sexuelles et sexistes.

Crédits photo : Par Coucouoeuf — Travail personnel, CC BY-SA 3.0