« La question est simple : Damien Abad peut-il, comme ses fonctions le requièrent, incarner l’intérêt général ? »
A l’initiative de l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles en politique et de Nous toutes, 188 femmes dont Clémentine Autain, Alice Coffin, Adèle Haenel, Laurence Rossignol et Mathilde Viot demandent, dans une tribune au « Monde », la démission du ministre.
Nous, femmes de tous milieux professionnels, de tous bords politiques, demandons la démission immédiate de Damien Abad et de toute personne mise en cause pour violences sexuelles ayant un mandat politique. Son maintien au sein du gouvernement est le symptôme de la grande résistance qu’opposent les réactionnaires aux femmes qui prennent la parole depuis des années et peinent à être entendues.
En reléguant à la justice le pouvoir unique de trancher, le gouvernement fait preuve d’une grande lâcheté. Ce n’est pas une décision judiciaire que nous lui demandons de prendre, mais bien une décision politique. Ce n’est pas la justice qui décide de la nomination des ministres, ce n’est pas à elle d’en décider la démission.
Pas plus qu’il ne revenait aux électrices et électeurs de sa circonscription de l’Ain de se prononcer sur le caractère éthique ou non de sa candidature. Par ailleurs, de nombreux ministres ont démissionné pour bien moins. La question qui se pose est pourtant simple. Damien Abad peut-il, comme ses fonctions le requièrent, incarner l’intérêt général ?
Un symbole qui impacte la société
Le peut-il, alors que trois femmes l’accusent de viol ou de tentative de viol et que de nombreuses personnes, y compris des élus de la République, ont témoigné de comportements tout à fait inappropriés ? Son maintien est un symbole qui impacte la société tout entière. Sur le terrain, le président de la République et la première ministre ont tour à tour été interpellés par des femmes qui expriment leur colère et soulignent le mépris renvoyé par le gouvernement aux victimes.
Rappelons qu’un viol est commis toutes les six minutes en France, et qu’un féminicide par un conjoint ou ex-conjoint est commis tous les deux jours et demi. Pour traiter cette question de sécurité et de santé publique, il est urgent de créer un climat de confiance dans nos institutions.
Pour oser franchir le seuil d’un commissariat dans lequel on sera bien reçue, pour porter plainte en sachant que notre plainte sera prise au sérieux et donnera lieu à une enquête approfondie. Pour quitter son domicile et recevoir la protection adéquate. Pour que chaque femme sache que l’entièreté des moyens publics seront mis en œuvre pour sa sécurité.
Le gouvernement décide d’être complice
Le message envoyé par ce gouvernement est tout autre. Dans le même temps, pour faire reculer ces violences, les hommes qui les commettent doivent saisir la gravité et la criminalité de leurs actes. Si des ministres peuvent agir en toute impunité, un blanc-seing semble être envoyé à tous les autres.
Ce maintien signe une complicité avec les hommes violents. Nous ne sommes pas dupes, nous avons bien conscience qu’il est question d’éviter un précédent, d’éviter que la démission de Damien Abad ne vienne entraîner, pour les mêmes motifs, celle de Gérald Darmanin. Alors, le gouvernement décide d’être complice.
Dans une entreprise, si une personne accusée de harcèlement sexuel était protégée par son employeur, maintenue en poste, sans enquête interne, sans mesure de prévention, sans mise à pied conservatoire le temps qu’une enquête soit déployée, la responsabilité de l’entreprise pourrait être engagée, au nom de l’obligation d’assurer à l’ensemble des salarié·es la sécurité au travail.
Une absurdité et une injure aux femmes
Pourquoi les ministres seraient-ils au-dessus des lois qui s’imposent à l’ensemble de la société ? Nous en tirons les enseignements suivants. Premièrement, nos actions fonctionnent. La société évolue, nous faisons évoluer, toutes ensemble, les limites de l’acceptable et de l’inacceptable. La nomination de ministres mis en cause pour viol ne peut plus être banalisée.
Deuxièmement, il est fondamental d’observer de très près les dysfonctionnements de la justice : la difficulté à porter plainte, les nombreux classements sans suite, les rares condamnations, la longueur et le coût des procédures n’inspirent pas confiance aux victimes. Renvoyer le maintien ou non d’un ministre à une institution lente, lacunaire dans ses procédures et dont le budget est trop faible est une erreur politique colossale.
Troisièmement, nous savons que nous sommes face à un appareil d’Etat brutal avec les militants et les victimes, qui agite le mépris et le discrédit de leur parole. Face à cela, nous rappelons au gouvernement que nous sommes, chaque jour, plus nombreuses et nombreux à trouver leur réponse face à cette crise démocratique lâche et honteuse.
Que nous nous structurons, que le vent tourne et que, bientôt, le maintien de deux ministres accusés de viols ou tentatives de viol sera perçu comme une absurdité, une injure aux femmes et au bon fonctionnement de la politique.
Cette tribune est coordonnée par l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles et le collectif Nous Toutes. La liste des signataires de cette tribune est à retrouver en cliquant sur ce lien.